Yosef Joseph DADOUNE | Julie GENELIN | Charlotte GOUNANT | Jeanne SUSPLUGAS
28 mars – 7 juin 2019
Communiqué de presse
Et si les images étaient, comme disait C. G. Jung, des « substances actives » qui détiennent le pouvoir de dévoiler ce qui se cache au tréfonds de l’être humain ? Révéler le refoulé, révéler les talents, rêver la vie, rêver l’âme – l’art est une voie royale hors des sentiers battus. La nouvelle exposition de ANNE+ propose de découvrir les pratiques artistiques qui explorent les subtiles frontières entre le conscient et l’inconscient.
Les quatre artistes présentés, chacun au parcours très singulier, ont tous, malgré leurs différences, une qualité commune : leurs œuvres déclenchent en nous ce fameux « je ne sais quoi », un sentiment du « déjà vu » familier et étrange à la fois. Rien d‘étonnant – leurs travaux nous confrontent aux projections de notre inconscient et demeurent une véritable invitation au voyage vers l’inconnu, un départ à la recherche du «moi entier».
Avec une simple métaphore de la maison, Jeanne Susplugas examine, ni plus ni moins, la condition de l’homme contemporain et pose les questions qui dérangent. Elle démontre comment le foyer, cet espace sensible, est le refuge des dysfonctionnements, symbole du corps et de l’âme avec tous leurs malaises. Les maisons sont attachées aux objets que les personnes interrogées souhaitent emporter s’ils devaient partir en urgence. Leurs choix, souvent étonnants, révèlent les angoisses et les obsessions, en brossant des étranges portraits individuels et collectifs. Cette perspicace étude psychologique et sociologique attire le regards sur ce qui détermine notre existence – nos dérives comportementales. C’est pourquoi, à l’entrée de l’exposition, une monumentale sculpture lumineuse « Distorsions » rappelle l’inévitable conditionnement de l’humain et ses «efforts pour tenir debout». De la même façon, la série des «Arbres généalogiques», où les noms des ancêtres ont été remplacés par leurs troubles pathologiques, évoque notre interdépendance et nous confronte avec notre fatidique héritage d’un «grain de folie». Quant aux dessins de rhizomes neuronaux, ils décrivent le fonctionnement du cerveau, le cheminement de la pensée, toujours à la frontière entre le monde rationnel et irrationnel où se mélangent souvenirs, idées, rêves, addictions et désirs.
Sans jugement, avec intelligence et délicatesse, Susplugas examine les contradictions de l’être humain. En fine observatrice, elle dévoile, dans ses œuvres plongeants dans les profondeurs de la psyché, nos tensions intérieures permanentes. Il est vrai que dans le miroir qu’elle nous tend nous paraissons fragiles, sans contrôle, insécurisés et vulnérables, néanmoins jamais résiliés dans cette quête interminable de sérénité.
Si l’art révèle notre conscience, le travail de Charlotte Gounant nous confronte justement à ce qui est endormi chez nous. Cette vraie « révélation » de l’exposition est un personnage hors du commun, une véritable « météorite » dans le monde de l’art et de la psychanalyse. Ses photographies témoignent d’une rare perfection du cadrage, d’une véritable alchimie des couleurs et d’une étonnante justesse de propos. Elles ont été « volées » au cours de ses « voyages intérieurs ». Ces images archétypiques, instinctives, intenses, gravées dans l’inconscient collectif, provoquent chez le spectateur des émotions puissantes et libératrices. En choisissant de « révéler ces petites choses inutiles, rebelles, inaperçues et négligées », cette passionnée des mystères de l’âme nous livre son «autoportrait en nature morte» qui est, en même temps, un portrait universel de l’être dans toute sa complexité.
Le « shocking red » de l’image de Charlotte Gounant se dissout dans le noir profond des œuvres de Joseph Dadoune, artiste habitué à analyser les tensions entre le réel et l’imaginaire. Ses tableaux – sculptures couvertes de goudron sont des réminiscences de l’enfance dans le Desert du Negev où l’artiste a été marqué par cette matière pauvre omniprésente. La couleur, l’odeur, le touché – son expérience est intense et primaire, il dégage une vraie spiritualité. Cette substance « fossilisée » nous transporte vers l’univers mythique du temps originaire, « avant que la lumière fut », quand une masse informe des ténèbres détenait tout secret de la vie. La magie de la matière tient, d’après l’artiste, à son irréductible transcendance, sa puissance inhérente, son infinie capacité de transformation, de multiplication et de prolifération. La matière « s’exprime » de même manière que l’inconscient : de façon libre, insaisissable et explosif. Joseph Dadoune, ce « Méditerranéen de cœur et de raison » perçoit le monde à travers le Noir, à travers la Nuit, qui est dans le calendrier lunaire des cultures orientales la vraie référence du temps et de l’ordre cosmique. La nuit permet de voir le monde autrement, plus « en profondeur », et de le saisir dans son effervescence et sa fragilité.
La vie nocturne n’est pas non plus étrange à Julie Genelin, qui a créé un véritable inventaire des idées de futures installations « rêvées » dans la nuit. Ce touchant journal intime témoigne de l’infini potentiel de l’inconscient dans la création artistique. Un autre travail de l’artiste, une série de dessins de nuages exécutés avec de la cire, font penser aux tâches de Rorschach soumis à la libre interprétation du spectateur. Poétique et ludique, cette œuvre joue délibérément avec nos certitudes et puise sa force dans le pouvoir de l’imagination. En toute simplicité, l’artiste démontre comment « Moi » est juste une petite fraction de conscience « qui flotte sur un océan de choses obscures ». Quant à la série de photographies des portes, des fenêtres et des passages enfuis, elle emploie des puissants symboles issus de l’inconscience et provoque des émotions d’une rare intensité. Pour en finir, une réflexion sur la perméabilité des frontières entre l’image et la pensée est menée par l’artiste dans la série de dessins aquarelles où les mots-idées se matérialisent et dématérialisent dans un mouvement infini. Julie Genelin rappelle encore une fois que seul un regard attentif permet de « concevoir l’idée » de ce qu’on regarde.
En traquant nos failles intérieures, en révélant l’inaperçu, en reculant aux origines ou en réunifiant la pensée et l’image, chacun des artistes présentés, à sa manière, révèle les fantômes de la conscience et nous entraine dans une « antichambre de Soi » où émergent de toutes nouvelles possibilités.